The Corbett Report | La biographie non-autorisée de David Rockefeller | 28 mars 2017

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David Rockefeller est décédé. Mais qu'est-ce que cela veut dire ? Comment mesure-t-on la vie de quelqu'un qui a façonné à ce point le monde moderne ? Rejoignez-nous pour l'édition de cette semaine du Corbett Report, où nous examinons la vie de David Rockefeller, son œuvre et le monde qu'il a laissé derrière lui.
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The Corbett Report | La biographie non-autorisée de David Rockefeller | 28 mars 2017

The Corbett Report | La biographie non-autorisée de David Rockefeller | 28 mars 2017


L'obscur héritage de David Rockefeller au Brésil

Brasil Wire
Mer 22 mars 2017 20:05 UTC

David Rockefeller

Le 20 mars, David Rockefeller est décédé à l'âge de 101 ans. Alors que les rubriques nécrologiques d'un des hommes les plus riches du monde ne tarissent pas d'éloges sur sa philanthropie, il est nécessaire de faire remarquer qu'il a joué un rôle prépondérant dans plusieurs coup d'État en Amérique Latine, qu'il a soutenu des dictatures extrêmement corrompues, et des politiques néolibérales à la suite de ces dictatures qui ont grandement aggravé la stratification des revenus et la pauvreté, et que son obscur héritage continuera à marquer la région longtemps après sa mort.

L'arrivée des Rockefeller au Brésil
La Fondation Rockefeller est arrivée au Brésil pendant la Première Guerre mondiale et s'est intégrée, parmi les élites brésiliennes, au prétendu "mouvement pour la santé publique". À l'époque, l'eugénisme brésilien était synonyme de santé publique et mettait l'accent sur l'"assainissement", exprimée par le slogan "désinfecter, c'est assainir". Avec l'aide de Rockefeller, la création en 1918 de la Société Eugéniste de São Paulo a marqué l'institutionnalisation de l'eugénisme au Brésil. Chez les élites, l'eugénisme était synonyme d'évolution, de progrès et de civilisation, et même traités par certains comme une "nouvelle religion". Dans "War against the weak" (En guerre contre les faibles), Edwin Black explique que le but de la Fondation Rockefeller était de financer des programmes dont l'objectif était "l'extermination de ceux qu'on considérait comme des dégénérés". Au Brésil, cela voulait dire les pauvres, les ignorants, les métis et les gens d'ascendance africaine.

Dans sa thèse sur le frère aîné de David, Nelson Rockefeller, l'historienne Elisabeth Cobbs affirme que la politique étrangère étasunienne au Brésil n'était pas seulement réalisée par le biais des relations officielles entre les gouvernements et les diplomates, mais aussi par le secteur privé, y compris par les organisations philanthropiques. Nelson s'était régulièrement rendu au Brésil depuis les années 1930, et en 1941 il fut nommé par le président Roosevelt coordinateur du Bureau des Affaires Interaméricaines (CIAA), qui gérait des opérations de renseignement et de propagande contre les Puissances de l'Axe en Amérique Latine.

La guerre terminée, Nelson dirigea l'Association Internationale Américaine pour le Développement Economique et Social au Brésil, ou AIA. L'AIA était une ONG philanthropique de type "Mission Capitaliste", connue au Brésil pour ses programmes de modernisation de l'agriculture selon le modèle et les normes nord-américaines (y compris l'introduction des pesticides, des herbicides et des graines hybrides), l'assainissement et l'alphabétisation. L'AIA a par la suite donné naissance à deux autres agences, l'IBEC (la compagnie internationale d'économie de base) et l'Institut de Recherche IRI. Comme coordinateur du CIAA, Nelson a obtenu de précieuses informations sur les ressources naturelles inexploitées de l'Amérique Latine, particulièrement les réserves de minéraux, des renseignements qu'il allait utiliser après la guerre. L'IBEC est devenue un élément-clé, après la Deuxième Guerre mondiale, de l'ouverture à l'exploitation commerciale de la forêt tropicale amazonienne, "un processus qui a finalement conduit à des dictatures militaires, au génocide des indigènes, à la perte de la diversité biologique, et à une misère sans précédent pour la majorité des Brésiliens."

Le président Getúlio Vargas

La Guerre Froide accrut la pression sur le Brésil au niveau des concessions accordées pour l'exploration pétrolière. On a dit que le président Getúlio Varga avait tenté de traiter le problème en formant un consortium, avec la participation de la Standard Oil, de la Shell, et de l'État brésilien. On rapporte que la Shell a accepté l'idée, mais que la Standard Oil et la Chase Bank s'y sont opposées. La Standard Oil a préféré s'imposer en faisant peser des menaces sur les exportations de café brésilien - le groupe Rockefeller contrôlait l'American Coffee Corporation, qui achetait la plus grande partie du café brésilien, le torréfiait et le distribuait aux États-Unis.

Dans les années 1950, David Rockefeller et la Chase ont augmenté leurs activités au Brésil, en créant l'Interamerican Finance & Investments (l'Interaméricaine de Financement et d'Investissement), pour finalement vendre leurs parts en 1956, lorsque le climat politique a tourné en défaveur de l'internationalisation. En 1961 il tenta d'établir au Brésil une banque filiale de la Chase, en achetant pour 3 millions de dollars 51 % de Banco Lar, mais l'instabilité politique du pays découragea la Chase. (En 1980 il fut autorisé par la Banque Centrale à acheter les dernières actions, et cette entité devint finalement la Chase du Brésil.)

Au cours de cette période, David développa, de même que son frère Nelson, une grande amitié avec son partenaire et patron d'Unibanco (ultérieurement fusionnée avec Itau), Walther Moreira Salles, dont la famille se constitua une seconde fortune grâce au Niobium, un minéral extrêmement rare. Les Rockefeller et Moreira Salles s'associèrent dans l'achat d'une énorme ferme, "Bodoquena", dans l'État du Mato Grosso.

Sur instructions du président Kennedy, au début des années 1960, David Rockefeller fonda le Business Group for Latin America (Groupement d'Entreprises pour l'Amérique Latine), destiné à contrer l'expansion des gouvernements de gauche dans la région, à la suite de la révolution cubaine. Sous sa direction, ce groupe se transforma en un Conseil des Amériques et pour finir en AS/COA, qui publie actuellement Americas Quarterly, un noyau relativement discret mais influent de discours anglophone en faveur d'une politique de "libre-échange" en Amérique Latine.

Ce Groupement d'Entreprises pour l'Amérique Latine comprenait à son bord des cadres supérieurs comme C. Jay Parkinson, PDG d'Anaconda Copper - très présent au Chili, et Harold Geneen, dirigeant de l'International Telephone and Telegraph Corporation (ITT), également fortement engagé dans le pays, ainsi que Donald M. Kendall, PDG de PepsiCo. Toutes ces firmes soutinrent en 1973 l'intervention de Nixon et de Kissinger contre le président élu Salvador Allende.

En 1970 il y eut, parmi les machinations secrètes de la CIA contre Allende, un plan d'urgence de 500.000 $ chargé d'influencer le vote du parlement contre sa candidature. Son adversaire, Alessandri, devait recevoir autour d'un demi-million de dollars, que devaient apporter ITT et d'autres sociétés appartenant au Groupement d'Entreprises. Selon le journaliste Seymour Hersh, lauréat du Prix Pulitzer, le Groupe d'Entreprises pour l'Amérique Latine de Rockefeller, devenu en 1970 le Conseil des Amériques, était en relation étroite avec la CIA et Enno Hobbing, qui avait participé à l'éviction d'Arbenz au Guatemala. Hobbing, un responsable de la CIA qui avait été au départ désigné comme agent de liaison avec le Groupement d'Entreprises, quitta finalement la CIA pour devenir le principal officier des opérations du Conseil des Amériques.    

D'innombrables universitaires ont évoqué le sabotage économique, souvent en collaboration avec des élites commerciales étasuniennes telles que la famille Rockefeller, comme composante des coups d'État en Amérique Latine soutenus par les États-Unis. Du boycott du cuivre chilien en 1972, orchestré par ITT, à la déstabilisation économique du Nicaragua par l'administration Reagan, ou aux tentatives étasuniennes de sabotage de l'économie vénézuélienne , le populisme progressiste se heurte fréquemment, encore aujourd'hui, à l'agression des États-Unis, notamment par de la propagande médiatique.     

David Rockefeller et la dictature militaire brésilienne
"United States Penetration of Brazil" (La pénétration du Brésil par les États-Unis), de Jan K. Black, contient de nombreux passages relatant les activités du Groupe Rockefeller, du Groupement d'Entreprises pour l'Amérique Latine et de ses précurseurs lors des élections de 1962, du coup d'État de 1964 et de la période qui a suivi, de concert avec les élites conservatrices locales. Elle indique comment, lors d'un colloque militaire sur l'Amérique Latine en automne 1964 à West Point, David Rockefeller déclara qu'il avait été décidé très tôt que Goulart n'était pas acceptable aux yeux de la communauté bancaire US, et "qu'il fallait donc qu'il s'en aille." Tout comme en 2016, en 1964 l'accent à l'étranger n'était pas mis sur l'idéologie marxiste, mais sur la lutte contre le nationalisme économique et celui des ressources.

"L'affirmation du contrôle national des ressources naturelles de base, de même que l'affirmation plus générale du contrôle de la capacité de production de l'économie, avaient été considérées par le gouvernement Goulart comme un prérequis à la redistribution des revenus. La promotion du nationalisme économique avait aussi été vue comme l'un des moyens les plus prometteurs de mobiliser un soutien de masse en faveur du gouvernement. Les entreprises étasuniennes, avec le soutien du gouvernement US, avaient généralement réussi à repousser les restrictions levées par des gouvernements nationalistes mais faibles. Si la mobilisation des masses n'était pas apparue comme une menace ou une éventualité, il semble probable que les pressions combinées des multinationales et des éléments de la communauté d'affaires brésilienne, dont les fortunes leur étaient liées, auraient suffi à intimider le gouvernement brésilien et le faire limiter ses prétentions nationalistes. Mais indépendamment des possibilités réelles, en 1964, de mobiliser les masses, Goulart croyait apparemment la chose possible, et ses ennemis, de l'intérieur ou de l'étranger, craignaient apparemment qu'il ait raison."

En 1975, Philip Agee, ex agent de la CIA, confirma nombre des découvertes et soupçons de la commission parlementaire brésilienne concernant une interférence étrangère dans les élections de 1962 au Brésil. L'enquête révéla que parmi les principales opérations d'action politique de Rio Station (CIA), l'Institut Brésilien d'Action Démocratique (IBAD) et une organisation associée, l'Action Démocratique (ADEP) :

"...dépensèrent au cours de la campagne électorale de 1962 l'équivalent d'au moins 12 millions de dollars pour financer les candidats anticommunistes, et peut-être même jusqu'à 20 millions. (...) La commission parlementaire d'enquête était elle-même plus ou moins contrôlée--5 de ses 9 membres recevaient eux-mêmes des fonds de l'IBAD et de l'ADEP--mais seul le refus de la First National City Bank, de la Bank of Boston, et de la Royal Bank of Canada de révéler l'origine des fonds étrangers déposés en faveur de l'IBAD et de l'ADEP, a empêché que tout soit révélé. Parmi les conspirateurs du coup d'État du 1er avril, c'était ceux de l'IBAD qui en tiraient le plus de profit, et certains, particulièrement les bénéficiaires militaires, figurent parmi ceux qui y ont gagné du pouvoir. (...) Robinson Rojas a repéré Standard Oil of New Jersey, U.S. Steel, Texas Oil, Gulf Oil, l'Hanna Corporation, Bethlehem Steel, General Motors, et Willys Overland parmi les déposants des comptes d'IBAD-ADEP-Promotion." L'économiste et écologiste Jean-Marc von der Weid a soutenu que "plus d'une centaine d'entreprises étrangères et quelques entreprises nationales ont été impliquées dans le financement de l'institut, et que le Groupe Rockefeller-IBEC était un des principaux mécènes." 

Le responsable de la CIA pour le coup d'État de 1964 fut Joseph Caldwell King, également connu sous son nom de code de la CIA : Oliver G. Galbond. C'était l'ancien vice-président de Johnson & Johnson, membre du Groupement d'Entreprises, responsable du Brésil et de l'Argentine, et de là il passa au Bureau du Coordinateur des Affaires Inter-Américaines (OCIAA) de son proche ami Nelson Rockefeller. Après avoir officiellement quitté la CIA en 1967, King devint PDG de l'"Amazon Natural Drug Company", un prête-nom de la CIA qui collectait du matériau organique provenant de la forêt tropicale, en vue des recherches  financées par la Fondation Rockefeller effectuées par les Agences US.   

Rede Globo, le réseau médiatique brésilien hégémonique, fut en fait créé grâce à l'assistance et au financement des Éditions Time-Life aux États-Unis, un associé de Rockefeller. Ce réseau devint un puissant instrument de contrôle de la société durant la dictature qui a suivi son lancement en 1964.

L'ouvrage de Gerard Colby et Charlotte Dennett : 'Thy will be done: The Conquest of the Amazon'  (Que ta volonté soit faite, ou la conquête de l'Amazonie) fut une enquête concernant le Summer Institute of Linguistics (SIL), également connu sous le nom de  Wycliffe Bible Translators (les traducteurs de la Bible de Wycliffe) - une organisation évangélique financée par Rockefeller et l'USAID, qui avait traduit la Bible en des centaines de langues indigènes d'Amérique Centrale et du Sud. Wycliffe fut fondé par l'ultraconservateur William Cameron Townsend, qui travaillait en concertation avec Rockefeller, et que les auteurs accusent de détruire les valeurs culturelles des peuples indigènes, afin de favoriser la pénétration des entreprises étasuniennes, au moyen d'"un type agressif d'intégrisme chrétien usant de la linguistique pour saper la cohésion sociale des communautés indigènes et accélérer leur assimilation dans la culture occidentale." Wycliffe a envoyé une multitude de missionnaires établir des églises pour contrer la "menace" représentée par la "Théologie de la Libération" gauchiste pour la sécurité des États-Unis, identifiée par le frère aîné Nelson dans son "Rapport Rockefeller" de 1969 destiné au président Nixon. Ces missionnaires agissaient aussi en éclaireurs, et prospectaient clandestinement l'Amazonie pour ses ressources. Le soutien financier en faveur de la foi évangélique au Brésil se poursuit évidemment aujourd'hui, grâce à l'immense et politiquement influente "Église Universelle du Royaume de Dieu", pentecôtiste, à laquelle, comme son évêque dirigeant, Edir Macedo, l'a déclaré en 2011 à ses fidèles, les Rockefeller avaient généreusement contribué.

David et Nelson Rockefeller, ainsi que Zbigniew Brzezinski, participèrent également à l'élaboration en 1974 du "National Security Study Memorandum 200" (ou NSSM-200) de Henry Kissinger, que le président Ford, dont Nelson était le vice-président, a rendu politique officielle des États-Unis. Le NSSM-200, un temps secret, et qui n'a pu être examiné par les chercheurs que dans les années 1990, est un sinistre document qui préconise le contrôle forcé de la population dans 13 "pays moins développés", dont le Brésil, des pays choisis pour l'importance stratégique de leurs ressources naturelles. L'étude affirme que "le monde est de plus en plus dépendant des approvisionnements en minerais provenant des pays en voie de développement, et si une augmentation rapide de leur population les frustrent dans leurs ambitions de développement économique et de progrès sociaux, l'instabilité qui en résultera peut contrarier l'augmentation de la production et la continuité des flux de ces ressources."

Le rapport poursuit en concluant que "le flux constant de ces matériaux nécessaires sera mis en danger, soit par des actions gouvernementales, des grèves, du sabotage, ou des conflits sociaux. Bien que la pression populaire ne soit pas à l'évidence le seul facteur impliqué, ces types de frustration sont beaucoup moins probables en cas d'accroissement lent ou nul de la population", et "les jeunes, qui sont proportionnellement beaucoup plus nombreux dans les pays en voie de développement, risquent d'être plus imprévisibles, plus instables, plus enclins à l'extrémisme, à la marginalisation et à la violence qu'une population plus âgée. On peut plus facilement convaincre ces jeunes d'attaquer les institutions juridiques du gouvernement ou les biens immobiliers de l'"establishment", des "impérialistes", des sociétés multinationales, ou d'autres influences - souvent étrangères - considérées comme responsables des troubles qu'ils causent."

Ces types de programmes obligatoires de contrôle de la population seraient appliqués par    des organisations non-gouvernementales (ONG) telles que le propre Conseil de la Population eugéniste de Rockefeller. En 1968,  Frederick Osborn, le premier président de l'organisation, déclara que "les objectifs eugénistes vont très probablement être réalisés sous un autre terme que celui d'eugénisme."  

On ne peut qu'insister sur les conséquences pour les Brésiliens du NSSM-200. On peut en déduire que l'opposition de fait à l'accroissement de la population, l'augmentation du niveau de vie et de l'espérance de vie, disposer d'une éducation publique et de soins de santé de qualité, et le développement indépendant du Brésil, sont effectivement codifiés depuis 1975 dans la politique étrangère des États-Unis.

L'après-dictature 
En 1987, suite à la transition au pouvoir civil, deux décennies après l'établissement d'une dictature militaire avec son appui, David Rockefeller faisait remarquer : "Jamais auparavant, dans tous mes séjours au Brésil, je n'ai rencontré une pauvreté aussi extrême."  

En juin 1992, il était de retour à Brasilia. "Les progrès sont encourageants et la voie est ouverte à un accord" affirma-t-il, après une rencontre de 45 minutes dans la capitale au Palais du Planalto avec le président Fernando Collor de Mello, touché par la corruption. Bien que seulement consultant à la Chase Manhattan à ce stade, Rockefeller était encore impliqué dans le Conseil des Amériques. Le New York Times écrivit que le Brésil cherchait à convertir sa dette de 108 milliards de dollars - un record du monde - en obligations à 30 ans garanties par le Trésor des États-Unis.  Né dans une famille oligarchique, Collor était arrivé au pouvoir en 1989 par le biais des premières élections directes depuis le coup d'État de 1964, comme candidat favori de Rede Globo. Un de ses rivaux de gauche, Leonel Brizola, avait été identifié comme la cible potentielle d'un coup d'État soutenu par les États-Unis, s'il l'avait emporté. Dès la fin de 1992, Collor, qui avait supervisé un programme de privatisation et de libéralisation économique expresses, démissionna, confronté à une destitution imminente, avec une inflation qui dépassait les 1000 %. En traitant directement avec Collor, Rockefeller s'assura que les accords de dette étaient gravés dans le marbre, avant tout changement dans la présidence.

Au cours des préparatifs du Sommet de la Terre de Rio de Janeiro en 1992, la Fondation Rockefeller créa le LEAD (Leadership in the Environment and Development). Ils ont depuis, selon leur site, "recruté des personnes de talent dans le monde entier appartenant à des professions et des secteurs cruciaux, afin de développer un réseau, dépassant maintenant 2400 dirigeants motivés à changer le monde. (...) Depuis 1992, plus de 500 membres de professions libérales ont été formés au Brésil, au Canada, en Chine, dans l'ex-Union Soviétique, en Europe, en Inde, en Indonésie, au Mexique, au Nigeria, au Pakistan et en Afrique du Sud." La section brésilienne du LEAD, l'ABDL, fondée à la mi-1991, a été une des premières. Al Binger, le directeur international du LEAD, confia, avec une surprenante franchise : "Nous espérons que d'ici dix ans, un grand nombre de ces gens seront ministres de l'environnement et du développement, recteurs d'université et PDG." Un des hommes politiques brésiliens les plus proches du LEAD/ABDL serait la future candidate à la présidence, et qui fait campagne pour l'environnement, Marina Silva. Silva fut une théologienne catholique de la libération et à la tête de mouvements sociaux pendant presque 20 ans, avant de se convertir à la foi évangélique au milieu des années 1990. Bien que largement saluée dans les médias anglophones en tant que leader écologiste, le soutien public de son "capitalisme vert" est non seulement rejeté par le mouvement écologiste brésilien, mais son rejet fut choisi pour thème de la Cupula dos Povos, le forum altermondialiste au Rio+20, qui se tenait en même temps que lui à Rio de Janeiro en 2012.

"Une passerelle vers l'avenir"
L'Americas Quarterly, le magazine de l'AS/COA (Americas Society / Council of the Americas - Société des Amériques / Conseil des Amériques), et son cercle de commentateurs promus, a fortement contribué à modifier l'image du Brésil et à en faire un État défaillant, à affirmer que la destitution de Dilma Rousseff était légitime, et en particulier grâce à la représentation du juge Sergio Moro, de La Jato, en authentique "pourfendeur de la corruption". L'interférence des États-Unis en Amérique Latine moderne est souvent refusée, de manière rhétorique, comme un résidu de la guerre froide.

Peu après la destitution illégale de son prédécesseur Dilma Rousseff le 22 septembre 2016, le nouveau président Michel Temer, informateur attesté des Etats-Unis, en visite aux USA pour y rencontrer le vice-président Joe Biden et s'adresser à l'ONU, s'exprima également à une réunion spécialement organisée au QG new-yorkais de l'AS/COA. Au meeting des grands investisseurs, banquiers et gens d'affaires, Temer révéla franchement un "secret de Polichinelle" - que la véritable raison de l'élimination de Dima Rousseff venait de ce qu'elle refusait d'appliquer un programme pur et dur d'austérité et de privatisations
inclus dans un document nommé "Passerelle vers l'Avenir".

Ce document était bizarre, dans la mesure où il semblait avoir été traduit de l'anglais, et des utilisateurs des réseaux sociaux firent des remarques sur sa formulation inhabituelle. L'économiste Marcio Pochmann  constata des similitudes entre "Passerelle vers l'Avenir" et le "Plan d'Action Économique du Gouvernement" (PAEG) qui suivit le coup d'État de 1964. Une de ces similitudes, dit-il, en est la forte influence internationale.   

"Le PAEG a été rédigé en anglais, il y eut une grande intervention américaine dans le pays, au point que les États-Unis ont soutenu la dictature et même dépêché un navire en cas de guerre civile. Le coup d'État de 2016 révèle sans le moindre doute l'existence d'intérêts américains en liaison avec une série de démarches dans le domaine du développement effectuées par le Brésil depuis 2003, alors que ce dernier aspirait à une plus grande autonomie en politique étrangère. La relation Sud-Sud et le renforcement des BRIC (bloc commercial constitué par le Brésil, la Russie, l'Inde et la Chine) ne correspondent pas à ce que les États-Unis considèrent comme préférable pour l'Amérique Latine."

Michel Temer, ancien responsable de la sécurité publique pendant la dictature, s'est vu également demander par un des participants comment il comptait régler le problème des troubles sociaux dans la population, suite à des mesures d'austérité aussi extrêmes. Ceci évoque également 1964 : dans "Who Rules the World" (Qui dirige le monde), Chomsky notait que la politique de l'administration Kennedy consistait à transformer les militaires latino-américains en forces de police, qu'on valorisait et destinait à gérer leur propre population, "si elles devaient se manifester", et non à répondre à des menaces extérieures.

Malgré leur nature choquante, ces commentaires de Temer furent en majeure partie ignorés des journalistes d'entreprise, très unis, basés au Brésil, mais pour ceux qui ont suivi le travail de sape mené par les États-Unis contre un centre-gauche et des dirigeants de gauche démocratiquement élus en Amérique Latine, que Temer ait reconnu cela à une réunion parrainée et organisée par l'AS/COA n'était pas une coïncidence.

L'AS/COA est effectivement l'équivalent en Amérique Latine du Conseil de l'Atlantique, dont le slogan est "Unir les leaders d'opinion afin d'échanger des idées et de trouver des solutions aux défis des Amériques aujourd'hui", et sa "biographie" en ligne indique : "La Société des Amériques (AS) est le principal forum des Amériques dédié à l'éducation, au débat, et au dialogue. Sa mission est de favoriser la compréhension des problèmes contemporains politiques, sociaux et économiques, auxquels doivent faire face l'Amérique Latine, les Caraïbes et le Canada, et de stimuler la prise de conscience et l'appréciation par le public de l'héritage culturel varié des Amériques et l'importance des relations inter-américaines." Et aussi : "Le Conseil des Amériques (COA) est la principale organisation d'affaires internationale dont les membres partagent un engagement commun pour le développement économique et social, les marchés ouverts, l'État de droit, et la démocratie dans tout l'hémisphère Occidental. Le Conseil est constitué de sociétés internationales de premier ordre représentant un large éventail de secteurs, dont la banque et la finance, les services de conseil, les produits de consommation, l'énergie et l'exploitation minière, la production, les médias, la technologie, et le transport."

L'organisation est censée être fondée sur la "croyance fondamentale que l'économie de marché et l'entreprise privée sont les moyens les plus efficaces d'obtenir le développement économique et la prospérité d'une région." L'affiliation dépasse maintenant les 200 sociétés de premier ordre qui représentent la majorité de l'investissement privé en Amérique Latine. Le Conseil comprend des présidents, des ministres de gouvernements, des banquiers centraux, des responsables gouvernementaux, et des experts réputés en économie, en politique, en affaires, en finance, ce qui lui donne un accès unique aux informations provenant de la région. Le Conseil des Amériques prétend que "l'économie de marché et l'entreprise privée sont les moyens les plus efficaces d'obtenir le développement économique d'une région." Il a soutenu les accords de libre-échange et a contribué à la conception de l'Accord de Libre-Échange Nord-Américain (NAFTA) et de l'Accord de Libre-Échange d'Amérique Centrale (CAFTA) (...) et celui qui reste à appliquer : la Zone de Libre-Échange des Amériques (FTAA), l'ambition de longue date de David Rockefeller lui-même. Simultanément, l'objectif de l'organisation-sœur, la Société des Amériques, est par contraste "de stimuler la prise de conscience et l'appréciation par le public de l'héritage culturel varié des Amériques et l'importance des relations inter-américaines."

L'élite des entreprises membres du COA (le Conseil des Amériques) comprend : Bloomberg, Blackrock, Bank of America, Barings, Barrick Gold Corporation, Boeing, Bombardier, Banco Bradesco, Banco do Brasil, Banco Santander, Cisco, Citigroup, Coca Cola, ExxonMobility, Ford, General Electric, General Motors, Google, Itaú Unibanco, IBM, Johnson & Johnson, JP Morgan Chase, Lockheed Martin, McDonalds, Moody’s, Morgan Stanley, Microsoft, News Corp / Fox, Pearson, Pfizer, Philip Morris, Raytheon, Shell, Television Association Of Programmers Latin America, Time Warner/Turner, Toyota, Viacom, Wal-Mart. Une des entreprises qui ont succédé à la Standard Oil, la Chevron Corporation, est inscrite comme "membre mécène" du Conseil des Amériques, et ses intérêts sont directement liés à qui gouverne le Brésil. David Rockefeller est resté Secrétaire Honoraire du COA jusqu'au jour de sa mort, tandis que le Secrétaire en fonction est William R. Rhodes, un ancien de Citibank/Citigroup.   

Tout comme d'autres laboratoires d'idées de Washington DC, tels que le moins récent Brookings, et le Conseil des Relations Étrangères, la fonction affichée d'AS/COA n'est pas inhabituelle, mais son cas est particulièrement intéressant - une interface entre État et pouvoir des entreprises, les communautés du renseignement, les banques multinationales et d'Amérique Latine, les politiques néolibéraux alignés sur Washington, des institutions éducatives telles que FGV , des ONG locales et internationales, des auteurs, des journalistes, et les médias quotidiens en langue anglaise de la région, comme Reuters ou CNN.        

David Rockefeller a dit un jour : "Le capitalisme américain a plus apporté à plus de gens que n'importe quel autre système n'importe où dans le monde et à n'importe quelle période de l'Histoire." Il est décédé, mais ses intérêts commerciaux capitalistes et son laboratoire d'idées, soutenus par quelques-unes des grosses entreprises les plus malfaisantes en termes de droits de l'Homme et de droits environnementaux, vont sans aucun doute continuer à s'immiscer dans la démocratie de l'Amérique Latine et l'affaiblir pendant encore des années.

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