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Michel Chossudovsky | La crise mondiale dans son ampleur

 (La vidéo)

                                      



Transcription et traduction par The Avalon Translation Project.




Ajoutée le 5 septembre 2017

Dans cette interview "générale", Michel Chossudovsky se concentre sur la crise mondiale prise dans son ampleur, avec la Corée du Nord et la Corée du Sud ; l'examen du dispositif nucléaire (Nuclear Poster Review) de 2001 qui a révisé la doctrine nucléaire étasunienne, les bombes nucléaires tactiques reclassées en armement conventionnel ; les horreurs de la Guerre de Corée ; la réunification de la Corée ; les sanctions contre le Qatar et son blocus naval ; les plus grands gisements de gaz naturel du monde qui appartiennent conjointement au Qatar et à l'Iran ; les oléoducs ; la Turquie au Qatar ; les principaux réalignements de l'échiquier politique du Moyen-Orient ; la Turquie, membre de l'OTAN, qui achète le système russe de défense S-300 ; la carte redessinée de la Syrie et du "Kurdistan Libre" ; les coalitions transversales ; la Russie ; la Chine ; L'Inde et le Pakistan adhèrent à l'Organisation de Coopération de Shanghai, signe d'un grand changement géopolitique ; la déstabilisation du Venezuela ; Le Venezuela abrite les premières réserves de pétrole de la planète ; la rupture des relations entre Cuba et le Venezuela ; les fondations qui financent l'opposition au Venezuela financent aussi les intellectuels à Cuba ; les effets des systèmes monétaires doubles. -gunsandbutter.org

La vidéo :

Bonnie Faulkner (BF) : Voici Guns and Butter.

(Musique)

Michel Chossudovsky (MC) : ...et donc là nous avons vu se produire un très grand changement au Moyen-Orient et même plus largement en Asie, où des pays s'alignent avec la Chine, la Russie et l'Iran, au détriment de leurs liens avec les États-Unis et l'OTAN, où la Turquie se trouve dans une période de transition et s'affirme comme pouvoir régional, et tout ceci bouleverse les alignements géopolitiques historiques établis depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale. Et cela a évolué pendant toute la période des néoconservateurs. Mais nous nous retrouvons aujourd'hui dans un monde très différent.

BF : Je m'appelle Bonnie Faulkner. Aujourd'hui sur Guns and Butter : Michel Chossudovsky.

L'émission d'aujourd'hui : La crise mondiale dans son ampleur.


Michel Chossudovsky est un économiste, et le fondateur-directeur-rédacteur en chef de Center for Research on Globalization (Centre de recherches sur la mondialisation), basé à Montréal, au Québec. Il est l'auteur de 11 ouvrages, dont The Globalization of Poverty and The New World Order, War and Globalization, The Truth Behind September 11th, America's War on Terrorism, et The Globalization of War, America's Long War Against Humanity.


Aujourd'hui, nous nous concentrons sur la crise mondiale, la Corée du Nord, le Qatar, l'Iran, la Turquie, la Russie, la Chine, Venezuela, Cuba, et sur un grand changement géopolitique en train de se dérouler au Pakistan et en Inde.

(Musique)

Bienvenue, Michel Chossudovsky !

MC : Enchanté d'être à Guns and Butter.

BF : Vous êtes allé récemment en Corée du Sud. Avec tout ces bruits de bottes de la part des États-Unis et de la Corée du Nord, qu'avez-vous appris là-bas sur la situation coréenne. Quand on suit les actualités sur Twitter et dans les nouvelles, on croit voir une émission de téléréalité !

MC : Eh bien, peut-être devrions-nous demander au président Trump s'il s'agit de téléréalité, ou s'il a réellement l'intention de presser le bouton.

Mais je devrais [commencer par] clarifier un certain nombre de choses.

Ce n'est pas Donald Trump qui décide de l'usage des armes atomiques. Pourquoi ? ...Et les gens sont très perturbés à propos de ça.

En 2001, sous ce qu'on appelle l'Examen du dispositif nucléaire (the Nuclear Posture Review), la doctrine nucléaire étasunienne a été révisée, redéfinie, et une certaine catégorie d'armes atomiques, qu'on appelait des armes nucléaires tactiques, ou "mini nukes", ont été reclassées comme armes conventionnelles. Autrement dit, on pouvait les utiliser en même temps que les autres armes conventionnelles.

Et ces "mini nukes" ne sont en fait pas différentes des bombes atomiques stratégiques de la Guerre Froide, mais elles ont des caractéristiques différentes : elles sont moins puissantes, mais quand même d'un tiers à six fois la bombe d'Hiroshima, et je crois que certaines sont même plus dangereuses que ça.

Mais le simple fait de redéfinir ces bombes atomiques comme des armes conventionnelles en leur mettant une étiquette, et de les qualifier d'"inoffensives pour la population civile à l'entour" signifie que Donald Trump ne décide pas.

C'est un général trois-étoiles présent sur le théâtre d'opération d'une guerre conventionnelle qui peut -- je ne dis pas qu'il le fera -- mais qui peut en réalité décider une arme nucléaire tactique, très probablement en coordination avec le QG du Strategic Command en Nebraska, mais en réalité ce n'est pas à Trump d'intervenir.

C'est une décision prise par le Pentagone !

Cela a fait l'objet de pas mal de débats au Sénat, y compris par "notre" sénatrice démocrate de Californie Dianne Feinstein, et cela a été en fait une conséquence du vote effectif de 2002-2003. mais ensuite le sénateur Edward Kennedy a fait également remarquer à l'époque "Vous êtes en train de gommer la relation existant entre les armes de destruction massive et les armes conventionnelles." Et il était fermement opposé à cette reclassification des bombes atomiques.

Puis ils ont introduit la notion de -- et c'est un concept militaire -- de "caisse à outils". D'accord ? La "caisse à outils" est une caisse à partir de laquelle les militaires peuvent choisir, où le général à trois étoiles peut aller choisir ce qu'il veut. Et donc ces "mini nukes", qui sont des bombes anti-bunkers et des ogives nucléaires, ont été reclassées par le Sénat US et sont devenues d'authentiques armes conventionnelles ! Et nous n'avons pas besoin de demander à Donald Trump si nous pouvons les utiliser ou non ! "Mad Dog" Mattis (le ministre de la Défense de Donald Trump - NdT) va probablement avoir le dernier mot là-dessus, et c'est le type qui a déclenché l'enfer du bombardement de Falloujah au cours de la Guerre d'Irak.

Maintenant, ce que j'ai appris de mon voyage en Corée du Sud, c'est qu'il y a un nouveau président. La présidente précédente a été destituée. Nous espérons la libération de prisonniers politiques. Le nouveau président est en faveur du dialogue avec le Nord, et cela a été au centre de notre débat, en Corée du Sud. La Corée du Sud a un accord de coopération pour la défense qui, en temps de guerre, place l'ENSEMBLE des forces armées sud-coréennes sous le commandement d'un général à trois étoiles nommé par le Pentagone.

Et, puisque l'accord d'armistice de 1953 n'a jamais, jamais été remplacé par un accord de paix, cela signifie que les Etats-Unis sont en état de guerre avec la Corée du Nord depuis 1950 !

Il y a eu une trêve, mais il n'y a jamais eu d'accord de paix.

Mais les gens en Amérique l'ignorent. 

Parlant de sécurité, etc., c'est presque 30 % de la population de la Corée du Nord qui a été tuée par les bombardements US.

Plus de 90 % des villes ont été détruites. Pyongyang a été TOTALEMENT détruite.

Et alors il faut que nous nous demandions -- et c'est très important pour évaluer les plans de guerre étasuniens concernant la Corée du Nord -- "Est-ce qu'un pays qui a perdu 30 % de sa population lors d'une guerre menée par les États-Unis dans les années 1950 représente une menace pour les États-Unis d'Amérique, ou bien est-ce que les États-Unis d'Amérique représentent une menace pour la sécurité de la Corée du Nord ?"

Pas une seule famille qui n'ait perdu un être cher au cours de cette guerre !

Et maintenant mettez-vous à la place des Nord-Coréens. Qu'arriverait-il si, disons, un pays étranger avait bombardé, avait rasé des villes importantes : New York, Washington, Chicago... OK ? comme ils l'ont fait en Corée du Nord, et qu'il y ait eu ces 100 millions de gens de tués ? Un tiers de la population des États-Unis.

C'est ce qui est arrivé !

Et la question n'est pas d'accepter ou de nier l'interprétation que les militaires étasuniens ont en fait reconnu avoir tué. Ils ont dit, le général Curtis LeMay : "Nous avons dû tuer 20 %  -- Il a dit "20 %" -- de la population de ce pays et détruit toutes les villes sans exception." OK ? La citation exacte est là !  

Donc, voilà à quoi nous avons affaire. Nous avons affaire à un pays qui a été menacé ces 67 dernières années, nous avons affaire à un pays qui a perdu 30 % de sa population au cours de la Guerre de Corée, qui a été complètement détruit, et les médias inversent complètement la réalité en présentant la Corée du Nord comme l'agresseur parce qu'elle a développé des armes nucléaires comme moyen de dissuasion.

Que nous soutenions cela ou non -- personnellement, je ne le soutiens pas -- mais c'est un choix qu'ils ont fait à la suite de menaces nucléaires presque persistantes de la part des États-Unis, à commencer par 1950 et la menace d'une guerre nucléaire.

Donc, depuis, chaque année sans exception, [les États-Unis] organisent des wargames (des jeux de guerre), comportant des scénarios d'attaques nucléaires contre la Corée du Nord et cela a bien sûr causé une réponse de la part de la Corée du Nord, qui a développé son propre arsenal nucléaire.

BF : En mai 1951, une fois relevé de son commandement par le président Truman, le général MacArthur a témoigné devant le Congrès que : "La guerre de Corée a déjà presque détruit cette nation de 20 millions d'habitants. Je n'ai jamais vu une telle dévastation. J'ai vu, je pense, autant de sang et de catastrophes que n'importe quel autre homme vivant, mais la dernière fois là-bas, mon estomac en a été révulsé lorsque j'ai vu tous ces dégâts, et ces milliers de femmes, d'enfants et tout le reste, et j'en ai vomi. Si vous continuez sans fin, vous commettez un massacre comme je n'en ai jamais entendu parler dans l'histoire de l'humanité."

Cela, dit par le général MacArthur. Maintenant, n'est-il pas également vrai qu'ils ont dévasté la Corée du Sud ?

MC : Eh bien, ils ont aussi dévasté en partie la Corée du Sud, et il y a eu un programme d'assassinats ciblés en Corée du Sud, et il s'agissait de crimes de guerre en fait, ils n'étaient pas un sujet de discussion en Corée du Sud, et je crois que c'est il y a dix ans, qu'ils ont ouvert le dossier et les victimes, les familles des victimes ont commencé à parler.

Elles ne pouvaient pas le faire pendant les gouvernements militaires qu'ils ont eu, mais voyez-vous, la situation actuelle en Corée du Sud est que... si nous regardons les stratégies étasuniennes, qui consistent à faire faire par les autres pays la guerre à leur place, pour ainsi dire, comme ils le font au Yémen, où ils mobilisent l'Arabie Saoudite pour qu'ils aillent bombarder le Yémen. Mais avec leurs accords communs de défense, ils pourraient déclencher une guerre entre le Nord et le Sud, il faut donc abroger cet accord. C'était en fait l'objet de notre discussion en Corée du Sud.

Mais en même temps le président de la Corée du Sud dit : "Nous allons dialoguer." Mais la question, c'est le problème de la santé mentale dans cet environnement de type téléréalité. Il existe une certaine santé mentale à l'intérieur de la Corée du Sud, chez les décideurs politiques, qui ont dit : "Nous souhaitons discuter avec les Nord-Coréens."

Après la destitution de la fille du général Park, Mme Park, il y a eu le Mouvement des Chandelles, et ils souhaitent lancer un dialogue.

Maintenant les États-Unis essaient de les empêcher d'initier un dialogue avec le Nord ! Donc si on se demande quelle est le résultat de ces belles déclarations furieuses du président Trump, je dirais que nous nous trouvons à la croisée des chemins de la crise la plus sérieuse de toute l'Histoire moderne, parce qu'une agression nucléaire contre la Corée du Nord, et même une attaque conventionnelle contre la Corée du Nord, dégénérerait.

Gardez à l'esprit que Trump ne connaît pas trop la géographie. La Corée du Nord a des frontières communes avec la Russie et la Chine, et avec la Corée du Sud, et presque à quelques brasses du Japon.

Donc voilà. On a ces cinq pays : le Japon, La Corée du Nord, la Corée du Sud, la Chine et la Russie, et il est très peu probable que les Russes et les Chinois laissent des événements se produire à leur seuil. Et il y a en ce moment tout un tas de négociations en coulisse.

Mais nous avons affaire à des gens qui, tout d'abord, ne comprennent pas l'impact des armes atomiques, et je ne les en blâme pas, parce que s'ils lisent les manuels militaires, ceux-ci disent que les armes atomiques sont inoffensives pour les civils !

Et je dois dire que les armes nucléaires tactiques -- juste pour montrer à quel point c'est absurde -- avaient été envisagées durant l'administration Clinton, contre la Libye. OK ?

C'était la première initiative de ce genre.

Puis nous avons eu une autre situation, où les analystes ont dit : "Nous devrions utiliser les armes atomiques contre Saddam Hussein." OK ? Des armes nucléaires tactiques contre Saddam Hussein !

Si bien que toute la discussion et le débat sur les armes nucléaires sont finalement destinés à leur donner un visage humain, dire qu'il s'agit de bombes qui préservent la paix, que nous pouvons poursuivre Kadhafi ou Saddam Hussein dans son bunker, larguer une "bombe anti-bunker" à ogive nucléaire, etc., etc. et finalement nous avons un président qui peut lire ces dossiers d'information mais, en même temps, il n'a l'état d'esprit critique lui permettant de comprendre que ces mémoires ont été fabriqués de toutes pièces. OK ?

Donc on abreuve le président des États-Unis de fausses nouvelles. Il s'agit de ce que j'appellerais de la propagande interne, destinée à créer un consensus en faveur de la guerre atomique au sein du domaine des décideurs, et cela transcende... c'est présent au Département d'État (NdT - le ministère des Affaires Etrangères étasunien), au Congrès, etc., etc.

Et nous voyons ceci se dérouler. Ils font des séminaires pour les grands responsables, etc. Les mensonges faits au public sont une chose, mais il y a des mensonges au sein de l'appareil décisionnaire qui incitent ultimement ces décideurs à se conformer à un consensus.

Et le consensus qui est en train de se constituer actuellement, en dehors de cette histoire de "Russia-gate", est, en ce qui concerne les armes nucléaires, qu'elles ne sont qu'une forme d'intervention militaire parmi d'autres, et que nous pouvons maintenant -- et c'est là où est venue la doctrine de "guerre préventive".

Il ne s'agit pas seulement de guerre préventive en termes conventionnels, mais de guerre préventive ayant recours à une arme atomique pour frapper le premier, pour raisons défensives.

Ce qui est un type d'argument très biaisé : nous allons nous défendre en faisant exploser un pays qui est censé nous menacer.

Pour l'instant, la Corée du Nord ne menace pas les États-Unis, ils ont simplement affirmé qu'ils cibleraient, avec un de leurs missiles balistiques, et feraient tomber une bombe à proximité de Guam, mais à moins de 30 à 50 km de Guam, dans l'océan. C'est là tout ce qu'ils ont dit. 

Ils ne menacent pas les États-Unis, ils disent : "Bon, si vous nous menacez, et que vous voulez nous attaquer, nous avons la capacité de répondre." Et je pense que c'est là quelque chose dont on doit tenir compte.

(Musique)

BF : Je suis en train de parler avec Michel Chossudovsky, économiste et directeur de Centre de Recherche sur la Mondialisation. Émission d'aujourd'hui : La crise mondiale dans son ampleur.
Je m'appelle Bonnie Faulkner, et vous écoutez "Guns + Butter".

MC : Tout d'abord les États-Unis ont refusé de signer un traité de paix, mais ils ont également refusé de reconnaître la réunification de la Corée du Nord et du Sud. Et la raison pour laquelle ils ont bloqué la réunification, est que si cette réunification devait se faire, une Corée unifiée constituerait un pouvoir régional, souverain par rapport aux États-Unis d'Amérique.

Mais au sein de la Corée du Sud existe un puissant mouvement en faveur de la réunification. Il existe aussi un mouvement défavorable au départ des troupes étasuniennes, et aussi un mouvement contre l'abrogation de l'accord de coopération pour une défense commune qui, en fait place toutes les troupes sud-coréennes sous commandement étasunien en cas de guerre. Mais ils sont par définition en guerre depuis 1950, parce qu'il n'y a jamais eu d'accord de paix.

Mais je pense que finalement la politique étrangère des États-Unis consiste à s'assurer que les pays indépendants ne deviennent pas des pouvoirs concurrents, ni des pouvoirs régionaux concurrents. Et si on combine les industries de haute technologie de Corée du Sud dans tout un tas de secteurs : automobile, électronique, etc., il s'agit d'une économie industrielle high-tech très développée, qui est bien sûr capable d'exporter partout des voitures coréennes.

Et si on combine ça avec la science, la technologie, et les technologies militaires de la Corée du Nord, et une population bien plus importante, ce qu'on aura alors sera une puissance régionale qui contribuera finalement à bouleverser l'équilibre géopolitique en Asie du Nord-Est, au détriment des États-Unis. 

Elle peut également par la même occasion modifier la relation existant entre le Japon et les États-Unis, et ces deux pays ont également un accord de coopération militaire. Et je pense que ce que Washington veut en fin de compte, c'est d'empêcher la réunification des deux Corées, parce qu'elle créerait une puissance mondiale concurrente, avec des capacités militaires, de l'industrie de haute technologie, etc., qui défierait l'hégémonie des États-Unis en Asie du Nord-Est.

BF : Trois États du Golfe -- l'Arabie Saoudite, les Émirats Arabes Unis et Bahreïn --, et l'Égypte ont coupé leurs liens avec le Qatar et lui ont imposé un blocus aérien, maritime et terrestre qui entre dans son troisième mois. Vous êtes récemment rentré d'un voyage au Qatar. Qu'avez-vous appris là-bas sur la crise en cours ? Comment et pourquoi le changement politique contre le Qatar a-t-il commencé ?

MC : Eh bien, la situation là-bas est assez complexe, mais une dimension importante est le fait que le Qatar est depuis longtemps en relation avec l'Iran, dans le secteur du gaz naturel. Et le Golfe Persique a, entre les deux pays, l'Iran d'un côté, le Qatar de l'autre. Ces réserves sont les plus grandes réserves de gaz naturel au niveau mondial. Ils sont assis sur une mine d'or.             

Le fait est que, alors que le Qatar a  des liens avec de nombreuses compagnies pétrolières, des compagnies occidentales, ces gisements de gaz appartiennent en commun à l'Iran et au Qatar, par un accord signé entre leurs gouvernements respectifs. 

Et il ne s'agit pas seulement de dire :"Cette partie-ci m'appartient, et celle-là vous appartient". Il s'agit d'une propriété commune et d'une coopération en commun et cela c'est, à mon avis, fondamental.

A son tour, le Qatar a établi des liens avec la Russie, dans l'industrie gazière ; il a aussi investi indirectement dans un des conglomérats énergétiques russes, Rosneft, il y a beaucoup de Russes et de Chinois dans l'industrie pétrolière, et il y a bien sûr des gazoducs.

Quand on regarde les gazoducs stratégiques concernant le gaz naturel, une grande partie de ce gaz est en réalité exporté par pétrolier, mais ils développent maintenant les gazoducs et, depuis que l'Arabie Saoudite est arrivée et a fermé la frontière, il s'est produit une sorte de réalignement majeur. Ils ont fermé la frontière à tout le commerce terrestre qui entrait dans le pays, et qui le faisait via l'Arabie saoudite et les Émirats.

Si bien que le Qatar se retrouve tout à coup isolé, transformé de facto en île au lieu d'être une péninsule, et qui vient à la rescousse ? L'Iran, avec de vastes quantités de produits alimentaires de base qui avant venaient via l'Arabie Saoudite.

La Turquie aussi est impliquée. La Turquie aide également [le Qatar]. Il se trouve donc qu'avec la fermeture de la frontière avec l'Arabie Saoudite, le Qatar envisage maintenant d'exporter son gaz naturel via l'Iran, via la Turquie, et cela se produit en opposition avec le trajet de gazoducs qui unissait le Qatar et l'Arabie saoudite à la Jordanie, en traversant le Qatar et l'Arabie Saoudite, puis à la Méditerranée. OK ?

Donc maintenant que le trajet des pipelines a été modifié, la géopolitique a changé, avec en même temps des contradictions tout à fait fondamentales parce qu'alors que le Qatana s'aligne avec des ennemis des États-Unis d'Amérique, particulièrement l'Iran, mais aussi la Chine et la Russie, la plus grande base militaire des États-Unis est au Qatar !

C'est une base aérienne et, sauf erreur de ma part, aussi le QG des centres de commandement ! Si bien que les États-Unis sont un allié de l'Arabie saoudite, ils possèdent de très importantes installations au Qatar, mais le pays est allié à l'Iran, en ce qui concerne ses ressources énergétiques et, plus récemment, la Turquie est arrivée à son tour et veut avoir sa propre base militaire au Qatar.

Tout ceci mène donc à une sorte de crise géopolitique : la Turquie est présente au Qatar, l'Iran y est présent, les États-Unis y ont une base militaire, l'Arabie Saoudite a fermé ses frontières, le trajet des pipelines a été modifié. Et la question devient alors : comment cela va-t-il évoluer ?

Comment cela va-t-il évoluer ?

Avec des installations étasuniennes dans un pays qui a des clivages avec des ennemis de l'Amérique, l'Iran en priorité, mais aussi la Russie et la Chine qui, tous, sont dans l'industrie gazière, avec la Chine comme principal importateur.

Il y a bien sûr encore là-bas des compagnies occidentales, elles ont des contrats avec les industries pétrolière et gazière -- rien de neuf à ce sujet -- mais l'ingérence de l'Iran est absolument fondamentale.

Un autre important changement qui est en train de se produire est le changement géopolitique. C'est la Turquie, et la relation entre la Turquie et les États-Unis d'une part, et la Turquie et ses liens avec l'Iran et la Russie.

Et ça, c'est lié au nord de la Syrie, où les États-Unis poussent à la création du Kurdistan, un État par procuration ou un protectorat, situé dans le nord de la Syrie, qui serait annexé, qui se séparerait de la Syrie. Les combats sont toujours en cours, et le projet est de finalement l'intégrer au Kurdistan, région de l'Irak.

Maintenant, il s'agit d'un projet US. La Turquie voit les choses autrement, parce que, bien évidemment, ils combattent le projet kurde depuis des générations, mais le projet étasunien d'établir une région du Kurdistan était déjà envisagé à la fin des années 90, où des portions de l'Irak et de la Syrie, mais aussi de la Turquie, formeraient la nouvelle région du Kurdistan et maintenant, en conséquence, il y a une sorte de conflit entre la Turquie et les États-Unis, au point que la Turquie a récemment acquis le système de défense aérien S-300 de... la Russie !

Comment peut-on intégrer ça, quand on sait que, tout d'abord, la Turquie est une grosse pointure dans l'OTAN, et quand on sait que le système de défense aérien des pays membres de l'OTAN répond aux normes de l'OTAN, qu'il utilise la technologie US et occidentale, et non celle de la Fédération Russe.

On a donc un membre de l'OTAN, une grosse pointure de l'OTAN, qui a acheté son système de défense aérien à la Russie, qui figure sur la liste des ennemis de l'OTAN, et qui de plus collabore avec l'Iran au niveau des trajets des pipelines, depuis la côte iranienne du Golfe Persique, mais aussi du Qatar, Iran-Turquie, Turquie-Méditerranée.

On a donc là une situation très complexe, en évolution. Et je n'exclurais pas l'éventualité que dans l'avenir, il y ait soit une intervention militaire ou, plus probablement, qu'ait lieu un changement de régime au Qatar, dont l'intention serait de déstabiliser la relation qu'entretient le pays avec l'Iran, avant tout, mais également avec la Russie et la Chine.

Qatar n'est pas un grand pays, il a une population de 2,2 millions d'habitants. La plus grande partie de cette population est constituée de travailleurs étrangers, et l'intervention militaire par, disons, l'Arabie saoudite, n'est pas quelque chose qu'on peut exclure.

Mais la situation est très, très instable, et signale de PROFONDS réalignements, ceux de l'échiquier du Moyen-Orient.

(Musique)

BF : Je suis en train de parler avec Michel Chossudovsky, économiste et directeur de Centre de Recherche sur la Mondialisation. Émission d'aujourd'hui : La crise mondiale dans son ampleur.
Je m'appelle Bonnie Faulkner, et vous écoutez "Guns + Butter".

MC : Et là aussi, si on considère les liens plus larges existants entre disons l'Iran, le Pakistan et l'Inde, très récemment, c'était il y a environ un mois et demi, à la mi-juin, je crois, l'Inde et le Pakistan adhèrent à l'Organisation de Coopération de Shanghai et, le même jour en fait, et nous savons que l'Organisation de Coopération de Shanghai est avant tout une alliance entre Moscou et Beijing (Pékin), et quelques ex-républiques soviétiques, des membres observateurs, mais cela signale quelque chose de passablement fondamental, quand le Pakistan est déjà allié à la Chine.

Et c'est très significatif, parce que le Pakistan était un allié fidèle des États-Unis. Mais économiquement parlant, il s'aligne sur la Chine. Et l'Inde. La situation en Inde n'est pas claire, mais ce qui a été très révélateur à cette réunion du SCO (l'Organisation de Coopération de Shanghai) a été que le SCO a exigé que ses membres à part entière résolvent leurs différends de frontières de manière pacifique.

Et cela s'adressait au Pakistan et à l'Inde, et ce que je crois certainement possible, c'est que ça crée un nouvel environnement. Il ne s'agit pas de l'ancienne situation du Pakistan et de l'Inde se disputant un territoire au Cachemire, qui est essentiellement héritée de l'appareil colonial britannique.

Et maintenant existe une nouvelle ère de relations entre le Pakistan et les États-Unis, ce conflit Pakistan-Inde est entretenu par les États-Unis depuis la période de la Guerre Froide. Et maintenant on a une situation où ces deux pays, le Pakistan et l'Inde, sont membres avant tout d'une alliance de deux superpuissances concurrentes, notamment la Chine et la Russie.

Et malgré le fait que l'accord de coopération de Shanghai a été présenté comme une organisation eurasienne politique, économique et de sécurité mutuelle, elle n'exclut pas le fait qu'elle est aussi, tacitement, une alliance militaire. Et elle sert des intérêts géopolitiques et stratégiques. Elle est pour ainsi dire un contrepoids à l'OTAN étasunien.

On voit donc de très importants changements se dérouler au Moyen-Orient, et même plus largement, en Asie, où des pays s'alignent sur la Chine, la Russie et l'Iran, au détriment de leurs liens avec les États-Unis et l'OTAN, où la Turquie vit une période de transition en s'affirmant en tant que puissance régionale. OK ? Le projet ottoman du président Erdoğan.

Et tout ceci perturbe ces alignements historique et géopolitiques, qui se sont établis, disons, depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale, qu'on nomme la Doctrine Truman, George Kennan, et qui a évolué jusqu'aux néoconservateurs.

Mais nous sommes aujourd'hui dans un monde très différent, tout en étant en même temps à un carrefour extrêmement dangereux, en grande partie à cause de la nature très téléréalité de la politique étrangère US.

BF : En ce qui concerne le blocus du Qatar, un blocus n'est-il pas considéré comme un fait de guerre ? La Turquie et le Qatar ont mené les grandes manœuvres "Ironshield" (bouclier de fer) ou des exercices militaires communs à Doha.

Ceci me paraît très sérieux.

MC : Eh bien, ça l'est, certainement, parce que cela montre des changements d'alliance, et ce que nous pourrions appeler des coalitions transversales. Nous nous trouvons dans cette période de coalitions transversales. 

Le Qatar et la Turquie ont maintenant établi une alliance contre les États-Unis, et contre l'Arabie Saoudite. OK ? Mais en même temps -- peut-être pas de manière explicite ni officielle -- mais en même temps, la Turquie est un allié des États-Unis et le Qatar a la plus grande base militaire du Moyen Orient, tout en se trouvant à 100 km de Doha !

Il s'agit donc d'une relation très contradictoire. Je fais de nouveau allusion à la carte du nouveau Moyen-Orient, établie par un militaire US dans un but pédagogique, mais elle montre que cette carte remonte aux années 1990. Elle montre une situation où une partie de la Turquie a été annexée par ce que la carte appelle le "Kurdistan Libre" : c'est une carte du Pentagone, ou celle d'une école militaire, et le Kurdistan Libre inclut une partie du nord de l'Irak, et puis une partie de la Syrie.

Et puis on a une autre situation, comportant un "Baloutchistan Libre". Et le Baloutchistan fait partie de l'Iran, et du Pakistan, etc. Donc ils ont certainement redessiné la carte mais, en même temps, ces divers pays du Moyen-Orient et au-delà, ont très astucieusement établi des accords et des alliances bilatéraux. Les Russes sont très sophistiqués à cet égard : ils établissent des relations bilatérales avec tous les alliés des États-Unis, sans exception. OK ?

Ils possèdent donc maintenant une alliance avec la Turquie -- une alliance très importante -- et ceci après que nous nous souvenons de la précédente dans la guerre avec la Syrie, quand la Turquie a commencé à faire sauter des avions russes, mais il existe maintenant une alliance tacite entre la Turquie et la Russie, qui inclut la livraison à la Turquie du système de défense aérienne S-300 !

Et puis il y a le rapprochement entre la Turquie et l'Iran. La Turquie et l'Iran ont bien sûr participé aux conférences de paix d'Astana (la capitale du Kazakhstan - NdT), et nous savons qu'historiquement la Turquie et l'Iran n'ont jamais pu se sentir, mais malgré ça, ils sont maintenant prêts à négocier, à cause du tracé de leurs pipelines, et parce que l'Iran aussi bien que la Turquie se considèrent comme des puissances régionales, et ce sont effectivement des puissances régionales.

Donc, si vous regardez la situation au Venezuela, le Venezuela possède actuellement les plus importantes réserves de pétrole du monde. Une grande partie de ces réserves sont des sables bitumineux, mais reviennent moins cher que ceux de l'Alberta, mais c'est très important.

Le Venezuela possède les plus grandes réserves mondiales de pétrole.

BF : Il n'est pas étonnant de voir ce qu'il se passe au Venezuela !

MC : Oui. Je sais que les enjeux sont extrêmement importants. Extrêmement importants. Beaucoup plus importants qu'ils ne le sont, disons, en Syrie ! Mais il y a aussi le fait que tout ce qui se passe au Venezuela va affecter tout un continent. Cela va causer la rupture de tous les accords commerciaux ou de solidarité existant entre les pays latino-américains, cela va immédiatement affecter la Bolivie, l'Équateur, et certainement aussi Cuba.

Et, d'une certaine manière, il y a déjà eu une rupture des relations entre Cuba et le Venezuela. J'en ai été témoin lors de mon passage à La Havane, il y a deux ou trois ans, parce que... Bon, disons le franchement, les fondations mêmes qui financent l'opposition au Venezuela, financent aussi les intellectuels à Cuba. Je veux parler de la Fondation Hanns Seidel, liée au Parti Chrétien-Démocrate bavarois, plus ou moins l'aile droite d'Angela Merkel. Eh bien, ils étaient en 2012 derrière  Capriles Radonski, qui se présentait contre Chávez. Chávez a remporté ces élections-là, mais ils étaient impliqués dans le financement du candidat de l'opposition. Ça, c'est la Fondation Hanns Seidel.

Il se trouve que la Fondation Hanns Seidel est également active à Cuba. La manifestation à laquelle je me suis rendue, qui était un débat sur la transition politique à Cuba, etc., la normalisation... était financée par la Fondation Hanns Seidel, et il s'est trouvé qu'il y avait une session au Venezuela, mais pas une seule personne du Venezuela n'avait été invitée ! Pas un seul intellectuel ! Et c'était là un cercle de réflexion, une entité de recherche associée au ministère des Affaires Etrangères !

Et alors qu'ont-ils fait ? Ils ont invité un Israélien, qui a commencé à comparer les Palestiniens à Al-Qaïda, puis ils avaient des gens d'Autriche et du Parlement Européen qui discutaient de questions liées à l'Ukraine, et soutenaient Maidan, mais personne dans l'auditoire de ces chercheurs cubains, n'ont en fait contesté ces différents points de vue !

Il y avait là un Iranien qui s'est en fait exprimé, et il y avait moi. Mais nous voilà dans le Cuba socialiste, et nous avons un Sioniste de l'Institut Royal des Affaires Internationales de Chatham House, un érudit plutôt médiocre, qui intervient et commence à parler des Syriens, accusant Bachar al-Assad de tuer son propre peuple, etc., quand en réalité le leadership cubain avait pris position sur la Syrie. OK ? Fidel Castro avait pris position sur la Syrie.

Voilà donc le genre de choses bien sûr pertinentes parce que, si Cuba et le Venezuela ne se serrent pas les coudes, ils vont se faire décimer par Washington.

BF : Qui a parrainé cette conférence à Cuba ?

MC : Non, la conférence de Cuba était sous les auspices du Centre de Recherches sur la Politique Internationale, pour ainsi dire. Il s'agit là d'un des principaux instituts liés au ministère des Affaires Étrangères. Et c'était en fait sous les auspices du ministère des Affaires Étrangères que se déroulait cette conférence.

Bon, je devrais dire : on a un institut de recherche indépendant des agences gouvernementales, mais il ne conseille pas moins le ministère des Affaires Étrangères, et le ministère des Affaires Étrangères le finance. Ce sont donc eux qui ont organisé cette conférence, et ont néanmoins obtenu le financement de Hanns Seidel. Et l'historique de Hanns Seidel est très trouble, parce que dans le sillage de l'effondrement de l'Union Soviétique, ils ont soutenu le gouvernement de transition en Ukraine. Ils étaient aussi impliqués au Chili. Vous pouvez consulter leur parcours. J'ai écrit là-dessus dans un article, mais le fait est que tandis que la NED (National Endowment for Democracy - Fondation nationale pour la démocratie) ne peut pas mettre le pied à Cuba, ses différents homologues européens, particulièrement ceux d'Allemagne, possèdent des bureaux là-bas, et sont impliqués dans le même mécanisme de cooptation. Et, étant donné que Cuba possède un système monétaire double, tout paiement en devise convertible représente une mine d'or pour les gens qui reçoivent ces honoraires !

(Musique)

RF :
Je suis en train de parler avec Michel Chossudovsky, économiste et directeur de Centre de Recherche sur la Mondialisation. Émission d'aujourd'hui : La crise mondiale dans son ampleur.
Je m'appelle Bonnie Faulkner, et vous écoutez "Guns + Butter". 

MC : Ce qui m'est arrivé quand j'étais invité à cette conférence, j'ai reçu un mot de la Fondation Hanns Seidel, et ils m'ont dit : "Nous vous contactons pour vous régler vos dépenses et pour établir un contrat et discuter vos honoraires." OK ? C'est ce qui s'est passé. Puis j'ai contacté les organisateurs à La Havane et j'ai dit que je n'avais pas besoin du soutien de la Fondation Hanns Seidel, que je paierais moi-même mes dépenses. Je suis allé à cette conférence et ai réglé mes propres dépenses, l'avion. Cela a causé la pagaille, parce que je n'étais apparemment pas inscrit sur la liste qu'ils avaient dressée, et les réservations d'hôtels qui avaient été effectuées par la fondation allemande au nom des organisateurs.

C'était une expérience personnelle, mais cela m'a aussi permis de comprendre ce qu'il se passait à Cuba. Je ne vois pas de transition qui protégerait en réalité les acquis de la Révolution Cubaine, je vois exactement l'inverse. Ceci, en dépit du fait que dans l'ensemble les Cubains sont convaincus des acquis de la Révolution Cubaine, mais en même temps les mécanismes mis en place -- double système monétaire et le financement de la recherche par des fondations étrangères -- ne semblent pas vraiment positifs.

La situation que j'ai vécue, par exemple avec des collègues des universités, et c'est, je dirais, relativement récent, ils m'ont dit : "Eh bien, notre salaire -- moins de 20 $ par mois -- est versé en dollars US. OK ? Maintenant un chauffeur de taxi  va se faire 25 dollars, pour une simple course entre l'aéroport et l'hôtel, et c'est comme ça, c'est un salaire mensuel."

Je ne veux pas dire que les gens sont appauvris, affreusement appauvris, parce qu'ils bénéficient toujours des filets de sécurité de la révolution cubaine, qui sont le système des rations des produits de base essentiels qu'ils reçoivent, le logement qui leur est fourni, etc., etc., mais il est très significatif que des divisions sociales se créent entre ceux qui sont payés en monnaie locale et ceux qui sont payés en devise convertible. Il ne s'agit pas du dollar US, mais du CUC, ce qui veut dire en gros unité monétaire convertible. OK ?

Donc voilà le contexte à Cuba actuellement. Et je ne suis pas très optimiste quant au résultat final.

Par ailleurs, ce que je devine au Venezuela, c'est qu'il y a certainement une sorte de stratégie de changement de régime, qui ressemble par certains côtés à ce qui s'est produit en Ukraine, avec Maïdan : des gens sur les toits qui tirent sur les manifestants et les tuent, etc. Mais cela existe là-bas, certainement.

Si bien qu'en fait la politique étrangère, et les conseillers qui agissent pour le compte de Washington, appliquent le même genre de procédures qu'ils avaient déjà utilisées dans d'autres pays.

Mais il existe une autre dimension, qui rappelle les derniers mois du gouvernement d'unité populaire chilien sous Salvador Allende. Bon, je me rappelle ces événements parce que je les ai vécus. J'étais là-bas au moment du coup d'État ! Il y avait à l'époque un système à double monnaie. OK ? Il y avait des dollars, mais aussi des escudos, puis une hyperinflation, puis il y a eu un problème de distribution des produits de base, qui avaient été créé par les grandes entreprises, les sociétés locales, plus que probablement avec le soutien des services secrets US.

Bien sûr, il y avait aussi Henry Kissinger. Bon, mais finalement ce système monétaire double, plus l'effondrement du niveau de vie, attribuable à la pénurie des produits de base ou à l'inflation massive, qui dépasse le contrôle des autorités monétaires, c'est ça qui m'a frappé par sa ressemblance avec le dernier mois au Chili juste avant le coup d'État du 11 septembre 1973.

Il existe donc d'un côté un processus de déstabilisation du système monétaire, mais aussi un problème de distribution des biens et services et un appauvrissement de la population, par la manipulation des marchés et de la distribution, et par ailleurs, il y a le changement de régime, les mouvements de protestation manipulés, avec des tireurs d'élite sur les toits tuant des gens avant d'accuser le gouvernement. Cette notion d'accusation du gouvernement, on la trouve dans plusieurs pays : on l'a vue en Ukraine, où on a rejeté la responsabilité des incidents du Maïdan sur le gouvernement, qui a été
renversé -- Ianoukovitch --, et on voit également toute l'histoire liée à Bachar al-Assad accusé de tuer son propre peuple.

Voilà donc le type de discours et de versions qu'on a dans les médias, sans garder à l'esprit qu'on doit d'abord regarder un peu l'Histoire. Le Venezuela n'était vraiment qu'un régime fantoche avant l'arrivée de Chávez. OK ?  Juan Vicente Gomez en était le dictateur du début du boum pétrolier. Ensuite, bien sûr, après plusieurs changements de gouvernement, il y a eu Pérez Jiménez, puis ensuite, les deux principaux partis, le COPEI et l'AD sont arrivés. Et ça, c'était dans les années 60.

Mais aujourd'hui, le Venezuela a les plus importantes réserves de pétrole du monde. OK ? Cette question n'est jamais signalée. Une grande partie de ces réserves, il faut bien l'admettre, est constituée de sables bitumineux. Leur coût d'exploitation est bien plus élevé, mais les sables bitumineux du Venezuela sont beaucoup plus rentables que ceux du Canada.

Mais cela rend certainement le Venezuela stratégique, et que les compagnies pétrolières occidentales aient été pénalisées par le gouvernement Chávez est quelque chose qu'elles ne vont pas très facilement oublier et c'est sans doute là la raison pour laquelle Chávez a très probablement été assassiné.

Et leur plan était finalement de fasciner le leader puis de passer à un scénario de changement de régime caractérisé par une déstabilisation financière à base de taux de change, de prix des produits de base essentiels, associés à des formes dissimulées d'intervention, de tueurs à gage sur les toits tirant sur les manifestants, etc., etc. L'infiltration des forces armées également, l'infiltration des forces armées, parce que le soutien essentiel de Chávez, ce qui renforçait son gouvernement, c'était d'avoir le soutien de l'armée, ce qui n'est pas toujours le cas dans les pays d'Amérique Latine. 

BF : Comment une situation de système à double monnaie, telle que vous l'avez signalée à la fois pour Cuba et pour le Venezuela, est-elle lancée ?

MC : Elle commence... elle existe depuis pas mal d'années. Elle n'a pas forcément débuté dans le cadre d'un mouvement de contestation. Mais au Venezuela, il y avait du marché noir, et les gens en viennent à l'accepter. Je me souviens aussi qu'au Chili, il a existé un marché noir dès le début du gouvernement d'unité populaire. Et je pense que c'est dû en partie à l'incapacité des autorités à appliquer une politique cohérente de taux de change.

Dans des pays comme le Venezuela, où la banque centrale est très liée au système bancaire commercial, encore contrôlé par les conglomérats vénézuéliens, OK ? Il y a beaucoup d'argent au Venezuela possédée par leurs dirigeants, etc., si bien que le système bancaire est privé. Il y a eu un projet de nationalisation effective des banques, mais le fait est qu'il n'existe pas réellement au Venezuela de gens à la banque centrale capables ou désireux de régler cette question de la double monnaie.

Le marché noir, le dollar contre le bolivar, dans le cas du Venezuela, et il y a beaucoup de corruption autour de ça, de cette relation. OK ? Et nous voyons maintenant une situation où les produits de base importés du marché mondial sont censés être vendu en monnaie locale aux prix fixés par le gouvernement, mais ils n'arrivent jamais aux points de distribution aux prix du gouvernement ; ils sont immédiatement réexpédiés et vendus au marché noir, parce que le prix entre... disons qu'on peut acheter des produits de base essentiels au prix officiel en monnaie locale, mais on peut également les acheter à des prix scandaleusement élevés, en monnaie locale, sur le marché libre.

Donc ces prix sont alignés sur le dollar, OK ? Et ceux qui possèdent des dollars, sont bien sûr très à l'aise financièrement, et les autres doivent faire avec des salaires extrêmement faibles. Donc ce qui est arrivé en gros au Venezuela, c'est qu'on a appauvri les gens par le biais de cette manipulation  financière, qui, je pense, est due à la fois à des acteurs intérieurs au pays, tout comme à l'intégration du système bancaire vénézuélien dans le système financier mondial. Et l'impact en est dévastateur.

Un secteur, bien sûr, qui était crucial au Venezuela, la manipulation des prix du brut sur les marchés internationaux. Nous savons que c'est arrivé, qu'il y a eu sur les marchés internationaux de l'énergie des actions fabriquées de toutes pièces, pour en faire baisser le prix, après l'avoir fait grimper jusqu'à plus de 100 $ et quelques, puis on l'a fait baisser et baisser, et à bien des égards, on l'a fait baisser en-dessous du coût de production du pétrole dans les sables bitumineux, par exemple.

Le Canada a également été très touché par ça. Mais ce mouvement du prix du pétrole a été très préjudiciable au Venezuela. Et il a été causé artificiellement, et c'était volontaire. Cela s'est fait au détriment du Venezuela et, bien sûr, de tous les principaux producteurs de pétrole. Mais cela visait essentiellement le Venezuela, mais aussi l'Iran et la Russie.

BF : Michel Chossudovski, merci beaucoup.

MC : Merci beaucoup. J'ai vraiment apprécié cette discussion !

(Musique)

BF : J'ai parlé avec Michel Chossudovsky. L'émission d'aujourd'hui a été "La crise mondiale dans son ampleur." Michel Chossudovsky est le fondateur, directeur et l'éditeur du Centre de Recherche sur la
Mondialisation, basé à Montréal (Québec).

Le site de Global Research : globalresearch.ca publie des actualités, des commentaires, des recherches approfondies et des analyses.

Michel Chossudovsky est l'auteur de 11 ouvrages, dont The Globalization of Poverty and The New World Order, War and Globalization, The Truth Behind September 11th, America's War on Terrorism, The Globalization of War, et America's Long War Against Humanity.

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Guns + Butter est produit par Bonnie Faulkner, Yara Marco et Tony Rango.
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(Musique finale)



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